Utopitable
Pour le bien manger à l'hôpital
Arbe présente son mille-feuille à la vanille et figues fraîches. Une bille, un vrai comédien, une tronche d'acteur studio, il se prête au jeu des prises de vue avec malice. Ce sera l'affiche de l'exposition assurément. ©Marc Bretillot
Après un an de résidence au CHU de Saint-Étienne, le designer culinaire Marc Bretillot livre ses réflexions et pistes pour une meilleure alimentation à l'hôpital.
UTOPIE / HÔPITAL / TABLE
À quoi bon tout ça ? À quoi bon Hôpitable, cette année de résidence au CHU de Saint-Étienne entre 2018 et 2019 ?
Le designer associe dessin et dessein, un projet qui dessine un monde meilleur !
L'artiste enchante ou dénonce.
Le cul entre deux chaises, entre art et design, attentif, j'écoute ce que les acteurs de l'hôpital (soignants et patients) disent de ce qu'ils y mangent ou aimeraient y manger.
À quoi bon tout ça ? À quoi bon Hôpitable, cette année de résidence au CHU de Saint-Étienne entre 2018 et 2019 ?
Le designer associe dessin et dessein, un projet qui dessine un monde meilleur !
L'artiste enchante ou dénonce.
Le cul entre deux chaises, entre art et design, attentif, j'écoute ce que les acteurs de l'hôpital (soignants et patients) disent de ce qu'ils y mangent ou aimeraient y manger.
Je pensais tomber sur des râleurs aigris. Il est convenu de dire « à l'hôpital la bouffe, c'est dégueulaaasssse ! », mais les témoignages que j'ai recueillis in situ sont tout autre. Bienveillants, parfois enthousiastes, et souvent compréhensifs. Ils sont nombreux, majoritaires, à avoir un ventre reconnaissant. Dans hôpital, il y a hospitalité, un bienfait en soit.
La nourriture qui y est servie, doit avant tout répondre à des critères techniques nutritifs et sanitaires.
Pour ce qui est du plaisir, c'est un autre lieu: qui vient avec plaisir à l'hôpital ?
Cela n'enlève en rien au fait que le douloureux apprentissage de la perte de quelque chose (un doigt, un œil, un souffle, une autonomie, la raison, la vie...) peut être accompagné d'humanité. De ce que j'ai de mes yeux vu, les personnels, pour la plupart, s'y attellent.
Voici donc inspirées de témoignages enregistrés çà et là, dans les cinq services visités, quelques pistes d'améliorations, utopistes, ou pas.
La nourriture qui y est servie, doit avant tout répondre à des critères techniques nutritifs et sanitaires.
Pour ce qui est du plaisir, c'est un autre lieu: qui vient avec plaisir à l'hôpital ?
Cela n'enlève en rien au fait que le douloureux apprentissage de la perte de quelque chose (un doigt, un œil, un souffle, une autonomie, la raison, la vie...) peut être accompagné d'humanité. De ce que j'ai de mes yeux vu, les personnels, pour la plupart, s'y attellent.
Voici donc inspirées de témoignages enregistrés çà et là, dans les cinq services visités, quelques pistes d'améliorations, utopistes, ou pas.
Le sensoriel
Les textures
- Quand tu manges une chose qui est la platch platch. (parole de patient)
Le système de liaison froide [abaissement rapide de la température du plat pour le conserver au mieux] combiné au conditionnement en barquette operculée offre une garantie sanitaire à un coût optimisé. En termes organoleptique, ce n'est pas optimum. Le réchauffage des plats encapsulés crée une atmosphère de vapeur humide, ainsi, la peau du poulet rôti suinte, se ride et se dégourmandise. Il est difficile d'avoir des textures croustillantes, craquantes.
On pense trop souvent que le plaisir gustatif est uniquement associé à la saveur, non, la consistance, la texture sont prédominantes.
Par de petits gestes de cuisine, attentifs et minutieux, rajouter de la crème, du fromage râpée, des vermicelles de couleurs, les aides-soignants personnalisent les plats fournis par la cuisine centrale.
L'apparence
- Ils servaient les plats sous vide, ce qui me rebutait beaucoup.
- Un plateau servi en présentation, ça donne plus envie que ces plats sous vide.
- On fait des supers assiettes, posées sur des plateaux pouraves.
(paroles de patients et de soignants)
On mange d'abord avec les yeux. La question de la présentation est déterminante, c'est ce qui nous met en condition, nous incite à, ou nous rebute.
Le service en barquettes ne permet plus de décorer le plat d'une feuille de laitue. Actif militant de l'abolition de la verdurette en « décoration » d'assiettes, je trouve cela salutaire ! Si, dans la situation, il est difficile d'imaginer un dressage soigné, on peut se poser la question de l'environnement immédiat : la vaisselle et le plateau.
« Ne demandez pas à un designer de dessiner un pont, mais comment traverser la rivière », dit l'adage. La solution déjà existante se présente sous la forme de barquettes en plastique à usage unique qui, en plus de ne pas être attrayantes, ne sont pas très développement durable. Quels autres contenants imaginer ? Quels autres supports à la place des plateaux abîmés par l'encre des marquages et du système de réchauffe ? Ces éléments s'inscrivent dans une chaîne complexe de production, de transport, de distribution, d'usage... Réfléchir à un maillon sans envisager la chaîne complète n'est pas du design. C'est un vaste programme qui demande de mettre autour de la table tous les acteurs pour être efficient.
Les températures
- Gros défaut des plats réchauffés qui sont froids à l'intérieur. (parole de patient)
Le système des charriots, qui combine réchauffage et maintien au froid dans deux enceintes contiguës, permet de gérer un plateau avec plat chaud, entrée et dessert froids. C'est en soi une prouesse technique. Mais cela ne permet pas d'avoir des variations importantes, comme par exemple une soupe chinoise brûlante et un dessert glacé. Sans doute est-il vrai que dans le cas des malades, les extrêmes ne sont pas conseillés, et pourtant cela participe de l'expérience gustative et du plaisir de manger.
La relation
- Manger seul ne me dérange pas du tout. (parole de patient)
J'avais imaginé que le fait de se retrouver seul face à son plateau était pénible. D'une part parce que culturellement, pour la majorité des sociétés, les repas sont des instants de convivialité et, d'autre part, parce que sans autre sujet de distraction, on est focalisé sur ce qu'on mange à la manière d'un critique gastronomique.
En fait je n'ai pas recueilli de témoignage allant dans ce sens. Je pense que le malade, diminué, n'est pas heureux de partager son état. Manger le met à nu, il préfère le faire seul. Une relation virtuelle pourrait être envisagée, plateau interactif, robot serveur, etc. Je le dis sans conviction.
L'être
Le goût culturel, le goût personnel
24 janvier 2019. Un cuisinier goûte un de ses plats. La cuisine centrale est soumise à nombre de contraintes et gère la complexité des régimes en fonction des pathologies.
- C'est mon goût à moi qui m'a incité à manger à l'hôpital.
- La soupe paysanne, c'est la soupe portugaise, mes enfants ils en raffolent.
- Que les légumes soient plus cuits! Une ratatouille, on n'arrive pas à écraser les légumes.
- À propos d'alimentation, chaque pays a ses façons.
- La soupe paysanne, c'est la soupe portugaise, mes enfants ils en raffolent.
- Que les légumes soient plus cuits! Une ratatouille, on n'arrive pas à écraser les légumes.
- À propos d'alimentation, chaque pays a ses façons.
- C'est pas chez nous, ici, vous avez une cuisine différente, ce qu'on fait chez nous, c'est à base d'huile d'olive, tandis qu'en France c'est à base de beurre, de margarine, des choses qui sont pas trop...
- Steak au poivre, comme ma mère, flambé au cognac, là vous vous régalez.
(paroles de patients)
- Steak au poivre, comme ma mère, flambé au cognac, là vous vous régalez.
(paroles de patients)
La cuisine centrale gère la complexité des régimes alimentaires de chaque patient en fonction des pathologies, c'est un exploit. Elle intègre aussi par l'intermédiaire d'un questionnaire en début d'hospitalisation, les allergies, les aspirations religieuses, et les goûts !
Le service
- Ça dépend du service, ici c'est pas mal.
- Là, c'est pire qu'au restaurant, on est bien servi tout ça, y a un bon cuistot.
- Chanter, c'est ma façon de rentrer en relation avec les patients.
(paroles de patients)
Le sujet est d'importance. La question du service est primordiale. Prenez une assiette et posez la délicatement sur la table en susurrant « c'est pour toi, je te l'ai fait avec amour... » Prenez la même assiette, jetez là sur la table en vociférant « MANGE ! ».
Assurément la perception en est différente. Cela revient à dire que l'attention, la gentillesse sont déterminantes. Si le personnel est stressé, trop peu nombreux, soumis à un rendement infernal, hé bien, le service se dégrade. La machine ne remplace pas l'humain.
L'alcool
- Une infirmière m'a proposé du vin, je pensais pas que c'était vrai.
- Je ne bois pas, je n'ai jamais aimé ça, je n'ai jamais aimé les gens qui se torchent.
- Et ben maintenant, vu mon état, docteur elle m'a interdit, elle m'interdit, elle me dit arrêtez le vin, l'alcool. Et je crois bien que je vais profiter, peut-être quand si je rentre, à boire quelques canons en mangeant ; ouais j'en ai marre, la vie pour moi c'était un sacrilège et ça fait déjà quelques années que je bois pas !
(paroles de patients)
C'est un sujet délicat : qu'est-ce qui me fait du bien ? Qu'est-ce qui me fait du mal ?
Est-ce à moi d'en juger ? Ou je délègue la question au corps médical ? En fait, ai-je le choix ?
La question de l'alcool est revenue plusieurs fois dans les témoignages. On pourrait aussi y voir la question commensale, l'alcool qui se partage, qui fait lien, mais aussi qui, à trop forte dose, isole. Le sujet est très polémique, forcément, c'est un produit fini plus gustatif que nutritif, un produit de plaisir, une quête d'évasion. N'y a-t-il pas des boissons qui, avec le même degré de sophistication, de rituel, pourraient répondre à l'envie d'ailleurs ? Peut-on imaginer des recettes de cocktail-hôpital ?
La monotonie, la lassitude
- Là, ça revient régulièrement.
- C'est quand même toujours la même chose.
- C'est pas toujours varié, c'est un peu toujours la même chose.
- La nourriture à l'hôpital, c'est pas terrible, mais quand on a faim on mange.
(paroles de patients)
Évidement, les processus sont calés, la gestion d'une si grosse machine avec sa multitude de contraintes n'est pas aisée. À une échelle plus petite, on voit l'apparition de restaurants-cantines tenus par des femmes d'origines variées et qui, forcément, font une cuisine aussi variée qu'il y a de nationalités. Et si l'hôpital était aussi le lieu de la découverte des diversités ?
Hopitable, performance culinaire participative, Marc Bretillot & CHU de Saint-Étienne.
Le contexte
- La nourriture à l'hôpital, ben oui c'est très bien, c'est pas..., mais j'aime pas être fermé.
- J'étais à l'hôpital dans une salle de repos, et ben là, c'était pire que dégueulasse, y avait pas de cuistot, c'était toutes des boîtes qui arrivaient des pays étrangers.
(paroles de patients)
S'agit-il du corps lui-même ou de la possibilité de se mouvoir en liberté ? Le corps, en tous les cas, interdit. Les patients que j'ai rencontrés sont en colère contre eux-mêmes : « je ne peux plus faire ci, faire ça... » La question serait alors, concernant l'alimentation, comment pourrais-je avoir plus de liberté ou de sensation de liberté ?
Évidemment, les réponses sont individuelles. Comment une cuisine centralisée peut-elle y répondre ? Le fractionnement des unités de production, la proximité sont une possibilité. Peut-on imaginer avoir un espace de cuisine comme on a une salle de bain à disposition dans chaque chambre, ou peut-on imaginer que la cuisine se déplace dans l'espace intime de la chambre, charriot mobile avec cuisinier nomade, ou pas de cuisinier ? Le cuisinier, c'est moi si j'en ai les capacités. En fait cela revient à recréer un chez soi, ou l'inverse un hôpital chez soi... ?
À bout de souffle, Jean-Paul Belmondo agonisant d'une balle de revolver tirée dans le dos dit « c'est vraiment dégueulasse ». La sublime Jean Seberg dit, en dessinant avec son pouce le tour de sa bouche « qu'est-ce que c'est dégueulasse ? ».
La lettre de la Cité
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