La projection des films Post-Scriptum, Incidences et La forme d'une ville sera suivie d’un dialogue en compagnie des réalisateurs.
Post-Scriptum, une réalisation de Lisa Swieton
France | 2021 | 19 minutes | Couleur
Le film Post-Scriptum prend la forme d'une énigme qui commence par la silhouette d'une femme manipulant un document papier, s'ensuit un lent panoramique extérieur dans un paysage champêtre, suivant les ramifications des branches et finissant à terre, une chute, impact généré par le document lu ?
Le titre "Post-Scriptum" apparaît, indiquant possiblement la nature du document reçu. Post-Sciptum, du latin postscribere « écrire après ou à la suite de », est un film en suspens, à l'image des plans qui le composent - des poussières virevoltantes éclairées par le faisceau d'une projection, un orage nocturne observé depuis une fenêtre, une maison habitée par l’absence - images dont cette femme est le fil conducteur, apparaissant en quelques endroits du film, un personnage fantomatique errant à la surface du lieu.
Réalisé d'après une archive familiale - la lettre d'amour et d'adieu du résistant franc-tireur Louis Coquillet - initialement composés de cette lettre ainsi que d'un extrait du procès filmé au cours duquel Louis Coquillet et vingt-deux autres résistants furent condamnés à mort, le film s'est vu progressivement alléger du poids historique de la seconde Guerre Mondiale et de l'histoire d'amour pour n'en garder que des traces souterraines et sensibles par la mise en scène de l'attente contemplative et solitaire de la fiancée endeuillée, dans une maison où l'absence a élu domicile, où la perte, par-delà les années, continue sa hantise.
Incidences, une réalisation de Victor Oozeer
France | 2021 | 17 minutes | Couleur
"Une image tremblante, noire, laisse par intermittence, comme pour un feu d’artifice, apparaître des surgissements de lumière qui permettent à peine de discerner le visible. Puis un appartement, dans la pénombre, vide jusqu’à ce qu’un corps de femme s’avance dans la fine bande de lumière et que ses mains soient vues à peler un oignon. Deux plans qui partagent le surgissement de la lumière, que vient souligner un poème d’Emily Dickinson évoquant les lumières inconnues, vives comme des éclairs qui viennent strier le ciel nocturne.
Se présentent ainsi, dès l’ouverture, les paramètres qui conduisent Incidences : interaction entre poèmes et images qui, entre illustration et explication, relève surtout de l’éclaircissement mutuel ; contrepoint entre espaces traversés, souvent indistincts ou seulement partiellement identifiables, et contemplation du corps de l’autre, abordé par fragments et gros plans ; jeu de présence et d’absence, de corps attendus et absents ou surgissant à nouveau comme une apparition. Incidences travaille en images argentiques, s’attarde sur la texture, le flou, l’éclat lumineux. Le pan d’une robe tendue par une poitrine fait écho aux plis d’un rideau à travers lequel filtre le soleil du dehors. Ce que le film construit patiemment, avec poèmes et fragments d’espaces et de corps pour matériaux, est un rapport au monde ayant pour guide l’amour del’autre, où la contemplation de l’être aimé irrigue et hante l’émerveillement face au sensible."
Nathan Lettré, FID Marseille
La forme d'une ville, une réalisation de Victor Oozeer et Lisa Swieton
France | 2022 | 41 minutes | Stéréo | Couleur
En partenariat avec la Cinémathèque Municipale de Saint-Étienne
Notre film s’intitule La forme d’une ville d’après les vers du poème Le Cygne de Charles Baudelaire – « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ; » – avec entête la reprise de Jacques Roubaud pour son livre La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains. Nous n’en avons gardé qu’un fragment, voulant laisser aux images et aux sons du film le rôle de faire le reste. Paris n’en est pas l’épicentre, c’est une autre ville, Saint-Étienne, filmée depuis l’invention du cinématographe. Sous l’impulsion de la municipalité stéphanoise, ce sont plus d’un siècle d’archives qui témoignent de la vie dans la métropole et sont conservées aujourd’hui par la Cinémathèque municipale.
Cette vision institutionnelle du territoire, datant majoritairement du XXe siècle, nous avons tenté de la détourner en saisissant ce qui débordait du cadre des intentions de la ville, comme la sensibilité des faiseurs d’images et de sons de l’époque, les différentes caméras et pellicules mises à leur disposition, les numérisations de la Cinémathèque qui se sont améliorées au fil du temps. Plusieurs histoires se superposent, celles de la ville, des outils qui l’ont immortalisé hier et de ceux qui tentent aujourd’hui de partager ces productions. Comme Walter Benjamin nous l’enseigne dans son étude de Paris au XIXe siècle, il est nécessaire de porter un regard sur les germes de notre siècle dans celui qui le précède. Le XXe siècle voit éclore le cinéma, premier siècle traversé par cette invention, invention qui en a elle-même enregistré les évènements : essor industriel, événements sociaux, mutations, banalité du quotidien, etc.
Enregistrer images et sons est désormais une chose banale dans une société où le réseau social TikTok est devenu une évidence, mais le XXe siècle a vu naître cette histoire. Notre travail de sélection et de montage contient un geste pictural, les images sont retravaillées, les lumières affinées et les couleurs affirmées grâce à l’outil numérique de post-production. Il s’agît d’entretenir un rapport à la beauté, à la fascination, propre à l’image cinématographique primitive. Le film refuse ainsi la rhétorique du commentaire pour proposer un parcours sensible construit par différentes strates d’images et de sons en lesquelles des générations d’hommes et de femmes se succèdent en rythmes, vibrations et couleurs.
Présentée dans le prolongement de l’exposition Le Monde, sinon rien.
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