Me, le ruban et nous

Un entrelacs d'histoires

Des rubans pour nouer des liens. ®-ph-jacob
Il a fait la renommée de Saint-Étienne, il est le fil rouge des expositions à la Cité du design : le ruban est bien plus qu'une petite bande de tissu.

Vous êtes-vous déjà senti à l'abri, comme dans un cocon mais à l'air libre et loin de chez vous ? C'est l'impression que donne la traversée de la Passerelle de l'inclusion, l'objet totem de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne. Imaginée par François Dumas, à la demande de Lisa White, commissaire principale de la biennale 2019, elle illustre parfaitement le thème "ME YOU NOUS, créons un terrain d'entente". Entièrement tissée de rubans, c'est un arc-en-ciel qui nous saisit et nous transporte. Tel un feu d'artifice, il illumine la grisaille et l'hiver stéphanois. Nous rêvons alors de chaleur, de nouveaux paysages, de fêtes et de partage. Nous aussi, nous avons envie d'ajouter et de nouer un fil à cette farandole majestueuse. Surprenante et vivante, la passerelle vibre au rythme du vent. Ensemble de rubans de multiples couleurs, elle nous invite tous à prendre le même chemin et, à son image, à créer des liens.

Première ville ouvrière de France

Décoratif, artistique et inclusif, le ruban se dévoile en pièce maîtresse de la Biennale. Sur la terre stéphanoise, il est plus éminent encore. Son aventure dans la cité forézienne date du XVIe siècle. À cette époque, la Fabrique (nom de la rubanerie stéphanoise) se développe en centre-ville et participe à l'expansion industrielle de la région. Au XIXe siècle, l'activité emploie 30 000 personnes et érige "Sainté" en première ville ouvrière de France. Le ruban rencontre ce succès grâce à l'ingéniosité des travailleurs stéphanois.

Capitale mondiale du ruban

Dès la fin du XVIIIe siècle, la rubanerie intègre la mécanique du métier Jacquard - un système programmable- et le ruban se diversifie : plus de quantité, plus de variété. Saint-Étienne est alors reconnue comme la capitale mondiale du ruban. Américains, Anglais, tous le désirent au cours du XIXe siècle. Le ruban de soie, notamment, suscite toutes les envies. Noble, luxueuse, la soie est née d'un savoir-faire ancestral qui s'est transmis de la Chine à la France. Bien plus qu'une matière, elle traduit un lien historique, symbolique et humain.

Monde de l'art et haute couture

Cette épopée industrielle a laissé des traces. Deux entités mythiques ont traversé les âges : Staron et Neyret. La première, 1867-1986, est l'une des entreprises les plus prestigieuse du XIXe siècle. Dans les années 1950, toutes les grandes femmes du monde se sont habillées avec leurs soieries (Jackie Kennedy, la princesse Béatrix de Hollande). Sujet de l'exposition Esprit Staron en 2007 au musée d'Art et d'industrie, le nom est encore associé au monde de l'art et de la haute couture. La seconde, Neyret, créée en 1823, est encore en activité. Entreprise familiale implantée à Saint-Étienne, elle a acquis un savoir-faire unique dans le domaine du tissage et occupe aujourd'hui une place majeure dans le monde de la mode et du luxe à l'international. C'est elle qui a fourni les rubans de la Passerelle de l'inclusion et de la scénographie de Systems, not stuff.

Le Furan pour atout

Plus de 500 ans de rubanerie ont façonné l'environnement urbain. Dans un passé pas si lointain, Saint-Étienne possédait un atout bien connu : le Furan. Du nord au sud, la rivière traverse la ville et le ruban s'y est mélangé. Pour la soie ou les teintures, il a utilisé la force hydraulique pour activer les moulins et refroidir les machines. Fortement pollué, le cours d'eau a été recouvert et a disparu du paysage. Il est maintenant sous nos pieds ! Vous savez désormais pourquoi il n'y a pas de métro à Saint-Étienne... N'hésitez pas à flâner en centre-ville et arpenter sur presque un kilomètre la rue des Passementiers qui s'étend de Bellevue à Valbenoîte pour suivre le fil du ruban.

Relier des domaines éloignés

Le ruban stéphanois a laissé un autre héritage : les Beaux-arts. Un des enjeux fondateurs de l'école était de former les dessinateurs et graveurs de la rubanerie. La croissance et l'apogée de cette activité au sein d'une ville minière et industrielle peuvent sembler paradoxales, mais, à travers le ruban, les métiers de l'art et de l'industrie n'ont-ils jamais été plus proches ? Capable de relier des domaines éloignés, cette bande de tissu évoque la beauté. Elle embellit, habille, grandit, décore un chapeau, une robe, une ceinture. Il se fait accessoire ou élément indispensable. Il évoque l'amour, la séduction.

Faire connaître une cause

Du temps de la chevalerie, il incarne la romance lorsque le chevalier part au combat avec le tissu de sa promise. De même, lors des mariages païens, les mains des époux étaient liées avec un long ruban afin de sceller leur union. Il n'évoque pas la mode, il est la mode comme le suggère l'exposition du musée d'Art et d'industrie de Saint-Étienne en 2016 Le ruban c'est la mode. Il était la base de la couture. De la confection des costumes des Précieuses Ridicules de Molière aux robes de Nina Ricci en passant par celles de Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent, le ruban se porte au cou, aux pieds, à la hanche et habille même les bouteilles de parfum. Des corsets aux bandanas, il a traversé les époques et les styles. Il évoque également l'entraide. Avec ses douze couleurs différentes, le ruban de sensibilisation a pour but de faire connaître une cause et de manifester son soutien. Les plus connus sont le rouge pour le VIH et le rose pour le cancer du sein.

Symbolise l'inclusion

Le ruban est bien plus qu'un bout de tissu. Élément majeur de l'histoire industrielle et du développement économique de la région, il fait la fierté des Stéphanois et il participe au rayonnement français à l'international. Héritage artistique et artisanal, il touche et émeut chacun d'entre nous. Que ce soit à travers le sens de la mode, du beau ou des sentiments, son symbolisme est fort. Il incarne le lien entre des domaines pourtant opposés, entre le passé et le présent, entre les gens. Quoi de mieux que le ruban pour symboliser la 11e Biennale sur le thème de l'inclusion ?
Camille Javelle

PS: Les rubans donnent vie à une des expositions majeures de la Biennale, Systems, not Stuff, imaginée par Lisa White et scénographiée par François Dumas. Sous des arceaux en métal décorés et habillés, les objets et les systèmes qui leurs sont liés s'offrent aux visiteurs. Le contraste du fer brut et du tissu doux et imprimé peut vous étonner. Il met en valeur la capacité du ruban à envelopper, se mêler et s'entrelacer à une matière singulièrement opposée.
La lettre de la Cité

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